Texte lu à la clôture de la Rencontre internationale préparatoire à la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 qui s’est tenue à Montréal en 1998.
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Nous, les femmes réunies à la Rencontre internationale préparatoire à la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 proclamons notre solidarité à l’égard des nôtres qui sont bafouées, exclues, privées de toute dignité et qui doivent vivre dans des conditions inhumaines.
À la veille du 50ième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous voulons exprimer notre solidarité avec et en hommage aux femmes qui, dans leur pays respectif, défendent les droits des femmes en tant que droits de la personne ; des activistes pour la paix et la démocratie, des écrivaines qui luttent contre la censure et pour la liberté d’expression.
Aujourd’hui nous rendons hommage à :
- Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix, élue à la tête d’un gouvernement démocratique renversé par un coup d’état militaire, et qui continue de lutter pour la démocratie en Birmanie- un symbole d’espoir et de courage ;
- Leyla Zana, membre du parlement kurde condamnée à 15 ans de prison pour avoir prononcé une phrase en kurde devant l’Assemblée nationale turque ;
- Souha Béchara, prisonnière oubliée et symbole de l’occupation israélienne dans le Sud du Liban, libérée en septembre dernier après avoir été incarcérée pendant plus de 10 ans ;
- Talisma Nasreen, encore sous la menace de la « Fatwa », privée du droit à la liberté d’expression et du droit à la sécurité ;
À travers elles, nous rendons hommage à des millions de femmes qui travaillent dans l’anonymat à la défense et à la promotion des droits des femmes, pour que nous puissions participer pleinement à l’amélioration de nos sociétés sur une base d’égalité avec les hommes, en tenant compte de ce que nous avons en commun avec eux, mais aussi de nos différences, c’est-à-dire notre spécificité en tant que femmes.
Nous saluons le courage des femmes des Premières Nations du monde entier qui vivent une oppression séculaire et une discrimination économique, politique et sociale. Nous appuyons nos sœurs autochtones du Guatemala qui demandent que leur gouvernement mette sur pied l’Office pour la défense des droits des femmes autochtones, un des engagements des Accords de paix. Nous appuyons aussi nos sœurs du Mexique, particulièrement celles du Chiapas, qui font face aux conséquences d’une militarisation croissante.
Nous rendons également hommage aux victimes de la violence faite aux femmes. Nous nous élevons contre :
- l’assassinat en Belgique de Sémira Adamu morte pour avoir réclamé son droit à l’asile et à la libre circulation des personnes, symbole de la lutte contre les expulsions ;
- l’exécution imminente à la Trinité et Tobago de Pamela Ramjattan, victime de violences de la part de son conjoint, condamnée à mort pour son meurtre sans que l’extrême violence à laquelle elle a été soumise n’ait été prise en compte par les autorités ayant mené l’enquête ou par les tribunaux.;
- nous exprimons notre solidarité avec Tsitsi Tiripano membre de l’association des gais et lesbiennes du Zimbabwe, victime de discrimination parce qu’elle défend les droits fondamentaux des homosexuels femmes et hommes.
Nous voulons marquer notre solidarité avec ces activistes qui luttent pour que soient reconnues les exactions commises contre les femmes en situation de conflits armés et dans les territoires occupés, que la violence sexuelle soit prise en considération par la justice de tous les pays.
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les femmes vivant sous l’occupation, notamment les femmes palestiniennes, libanaises et tibétaines.
Nous tenons à marquer à nouveau notre révolte quant à l’utilisation comme stratégie de guerre du viol systématique des femmes au Kosovo.
Nous sommes solidaires des femmes africaines qui réclament la fin des violences subies par les femmes et les enfants, premières victimes des conflits en Afrique et qui demandent d’être incluses dans les processus de négociation de paix.
Nous sommes solidaires des femmes noires, mauritaniennes victimes du système d’apartheid institué par le régime d’Ahmed Ould Taya, président de la République islamique de la Mauritanie.
Nous sommes solidaires des femmes algériennes et nous louons leur courage et leur ténacité dans la lutte pour la paix et la démocratie.
Nous nous joignons aux activistes qui au Rwanda ont lutté pour que soient reconnus les crimes contre les femmes et que ceux-ci soient qualifiés de crimes contre l’humanité par le Tribunal pénal international sur le Rwanda.
Nous dénonçons la communauté internationale et son inertie face à l’horrible situation des femmes afghanes, preuve ultime que l’actuel discours sur les droits de la personne nous ignore.
L’inclusion de la Loi « Shari’a » dans le 15ième Amendement constitutionnel du Pakistan le 9 octobre 1998 menace d’éliminer les quelques gains dans les droits et libertés obtenus par les femmes de ce pays jusqu’à maintenant.
Nous enjoignons la communauté internationale d’agir afin que cessent les crimes commis contre les femmes du Cachemire par les forces de l’armée indienne.
Nous tenons à marquer notre solidarité avec les femmes du Timor, victimes de massacres perpétrés par l’envahisseur indonésien.
Nous dénonçons les embargos économiques contre l’Irak, la Lybie, le Soudan et Cuba – embargos qui accentuent la féminisation de la pauvreté.
En appui à nos sœurs mexicaines, nous soutenons leur lutte contre la corruption du gouvernement fédéral qui amène un plus grand appauvrissement du peuple et des femmes mexicaines. Nous appuyons aussi les organisations non gouvernementales du nord qui luttent pour en finir avec l’impunité qui camoufle les assassinats de plus de 100 femmes qui ont eu lieu à Ciudad Juarez en l’espace d’un an.
Nous appuyons les initiatives des organisations de femmes colombiennes qui tiennent la Vigile pour la vie et la paix, le 18 de chaque mois à la recherche d’une solution pacifique au conflit armé.
Nous nous joignons à ces activistes qui luttent pour que les dernières années qui restent à vivre aux « femmes de réconfort » philippines, coréennes, chinoises, indonésiennes, malaysiennes, taïwanaises et hollandaises soient marquées par la reconnaissance des souffrances qu’elles ont vécues en tant qu’esclaves sexuelles dans l’armée impériale japonaise lors de la Seconde guerre mondiale. Nous les soutenons dans leur quête de justice.
Nous soutenons les efforts des femmes des Philippines, du Japon, d’Okinawa et de la Corée pour que les bases militaires américaines cessent d’être des environnements propices aux violences faites aux femmes.
Devant tant de luttes à mener nous tenons à souligner les victoires qui nous permettent de persévérer:
- En septembre 1998, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, siégeant sous la juridiction des Nations Unies à Arusha, en Tanzanie, a rendu un jugement qui fait date : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité le viol est inclus dans une condamnation pour génocide. Suite à une campagne des rwandaises et soutenu par une campagne mondiale des femmes, le viol a été considéré comme un acte de génocide, un acte de torture, un crime contre l’humanité.
- Au Canada, en 1985, après une lutte qui a duré 25 ans, les femmes autochtones ont finalement reconquis leur droit à l’égalité. Elle ne perdent plus la reconnaissance de leur nationalité lors de leur mariage à un non autochtone.
- Au Mexique, nos sœurs mexicaines qui travaillent dans les « maquiladoras » ont fait des gains dans leur lutte pour se syndiquer et s’organiser face à des conditions de travail intolérables. Chaque victoire témoigne de leur courage et de leur détermination.
Aujourd’hui, toutes unies, nous nous levons et nous nous engageons à poursuivre notre lutte, chacune dans notre pays, à fin de rompre le silence pour toutes celles qui sont mortes dans l’anonymat.
Nous crions haut et fort notre engagement à continuer la longue marche vers la paix, la justice et la démocratie.
Solidarité avec les femmes du monde entier
Montréal, Québec, Canada
18 octobre 1998